Badikhjanah !

Canard quitta le bel acteur vers 19h, le coeur ouvert à tous les vents et les yeux brillants d’émotion. Il avait été ensorcelé. Il avait le sentiment de sortir tout droit d’un conte oriental inspiré des mille et une nuit. Le café où il s’était installé avec Canard Eldehbi s’était transformé en un somptueux palais de la Perse antique. Les boulevards bruxellois n’étaient plus qu’oasis, les réverbères des palmiers ondulant de façon lancinante au gré du tendre alizé, les voitures des caravanes commerciales de nomades venus d’Egypte, vendant sel, gemmes et autres soieries aux autochtones. Notre canard avançait la palme détendue, bien que le sort jeté par son amour imaginaire lui eut raidi l’échine.

La scène suivante se déroula peut-être en l’espace de trois secondes. Inconscient, notre ami Langlais s’engagea sur la chaussée alors qu’une voiture avançait à vive allure ! L’automobiliste pila, et avant même que son véhicule ne percuta notre ami imprudent, ce dernier était dans les airs, sauvé de justesse par un Canard aux ailes d’ange, les plumes vertes et blanchâtres et au visage masqué ! Le rêve des mille et une nuit se prolongeait-il ? Le héros masqué se posa sur la pelouse d’un parc bruxellois. Canard sortit de sa torpeur et lui dit:

– mais qui êtes-vous ? Vous m’avez sauvé la vie !
– je suis Badikhjanah…
– comment puis-je vous remercier ?
– nous nous reverrons.

Badikhjanah entoura de ses longues ailes d’ange Canard Langlais et l’embrassa. Canard se laissa faire. Pourquoi résister à un super-héros ? Il lui sembla entendre la musique d’Angélique Marquise des Anges au moment où le Roi l’embrasse avant de partir braver l’inconnu. A peine l’avait-il embrassé que Badikhjanah s’envola et disparut derrière les immeubles du quartier de la gare. Après ce long baiser au goût des épices d’Orient, Canard n’avait en tête non pas le souvenir de ce super-héros venu de nulle part, mais bien celui de Canard Eldehbi… Quel sort pouvait bien lui avoir été jeté ?…